EUROMED | TANGER - Forum Officiel
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.
Derniers sujets
» presentacion
Abd el-Kader, chef de guerre (1832-1847) EmptyVen 22 Jan - 3:53 par Rabiâ MRabet

» La Commission consultative de la régionalisation
Abd el-Kader, chef de guerre (1832-1847) EmptyMar 5 Jan - 6:04 par THE-SANDMAN

» Italie : des ex de la CIA condamnés pour le rapt d'un imam
Abd el-Kader, chef de guerre (1832-1847) EmptyMer 30 Déc - 14:49 par Imad Eddin AL-HAMADANI

» Désinformation, manipulation de l'opinion publique
Abd el-Kader, chef de guerre (1832-1847) EmptyMer 30 Déc - 14:48 par Imad Eddin AL-HAMADANI

» Les prisons secrètes de la CIA
Abd el-Kader, chef de guerre (1832-1847) EmptyMer 30 Déc - 14:38 par Imad Eddin AL-HAMADANI

» Les bourdes des services de renseignements et de police
Abd el-Kader, chef de guerre (1832-1847) EmptyMer 30 Déc - 14:30 par Imad Eddin AL-HAMADANI

» Le secret-défense
Abd el-Kader, chef de guerre (1832-1847) EmptyMer 30 Déc - 14:27 par Imad Eddin AL-HAMADANI

» Les oreilles du Patriot Act
Abd el-Kader, chef de guerre (1832-1847) EmptyMer 30 Déc - 14:11 par Imad Eddin AL-HAMADANI

» La Direction Centrale du Renseignement Intérieur (France)
Abd el-Kader, chef de guerre (1832-1847) EmptyMer 30 Déc - 14:06 par Imad Eddin AL-HAMADANI

Le Deal du moment : -14%
Apple MacBook Air (2020) 13,3″ Puce Apple M1 ...
Voir le deal
799 €

Abd el-Kader, chef de guerre (1832-1847)

Aller en bas

Abd el-Kader, chef de guerre (1832-1847) Empty Abd el-Kader, chef de guerre (1832-1847)

Message  Imad Eddin AL-HAMADANI Mar 29 Déc - 5:25

Le personnage d’Abd el-Kader a eu tendance à absorber et à résumer, dans l’historiographie, les résistances à la conquête française de l’Algérie. Cela est, dans une certaine mesure, excessif. On a trop tendance, en particulier, à oublier les efforts du bey de Constantine, Ahmed, pour consolider sa province après l’effondrement du pouvoir turc d’Alger. Trop souvent aussi, on néglige le fait qu’une grande partie des résistances algériennes se sont déroulées à un niveau élémentaire, celui des confédérations de tribus, des tribus elles-mêmes, voire des fractions de tribus ou des douars, selon des conditions dans lesquelles l’action de l’émir n’a que peu compté, ou pas du tout. Il reste que, par les qualités dont il a fait preuve, il n’a pas usurpé la place privilégiée qui est la sienne. C’est ce que tentent de montrer les pages qui suivent 1.
Les débuts

L’émir, qui a passé sa jeunesse dans un milieu hostile à la domination turque, est contemporain de la période qui voit, en réaction aux pressions européennes, certains chefs musulmans, et notamment le pacha d’Égypte Mohammed Ali, tenter de réformer leur État. L’effondrement de l’autorité ottomane et le début de ce que les Algériens ont appelé Doulet el Mehamla (époque de l’anarchie), lui donnent l’occasion de tenter une entreprise identique. Dès novembre 1832, les tribus de la région de Mascara l’ont proclamé sultan, charge à laquelle a renoncé en sa faveur son père Mahieddine.

« Nous avons assumé cette lourde charge, proclame-t-il, dans l’espoir que nous pourrions être le moyen d’unir la grande communauté des musulmans, d’éteindre leurs querelles intestines, d’apporter une sécurité générale à tous les habitants de ce pays, de mettre fin à tous les actes illégaux perpétrés par les fauteurs de désordre contre les honnêtes gens, de refouler et battre l’ennemi qui envahit notre patrie dans l’espoir de nous faire passer sous son joug. »

Le pouvoir d’Abd el-Kader n’est pas, au départ, celui d’un homme d’épée. Il n’est d’abord qu’un marabout assez obscur de la région de Mascara. Les Français ne le connaissent guère, pas plus que son père Mahieddine. Dès le début, il paraît avoir été tenté au moins autant par l’étude et la mystique que par la politique et la guerre. Il n’en démontre pas moins des qualités qui lui permettent de combattre victorieusement ses rivaux algériens. Le 12 juillet 1834, au combat de Meharaz, près de Tlemcen, son armée écrase celle de l’agha des Douair, Mustapha ben Ismaël, réputée comme la plus puissante de la région. Les Douair constituaient en effet, à l’époque turque, une tribu makhzen, c’est-à-dire une force militaire permanente au service du bey d’Oran. La confrontation avec les Français, installés à Oran (1831), puis à Mostaganem (1833), est désormais à l’ordre du jour.

Très tôt, sa position éminente a été reconnue par ses adversaires. Le traité Desmichels (février 1834), sous l’égide du général du même nom, puis, après une période de rupture, le traité de la Tafna (mai 1837), négocié par Bugeaud, reviennent à une reconnaissance officielle de son pouvoir, en achevant d’en faire l’interlocuteur des Français. Ceux-ci lui fournissent, par des clauses secrètes, des armes et de la poudre, dont il sait tirer parti pour étendre son pouvoir à l’ensemble des provinces de l’ouest et du centre. On comprend que ces traités aient été souvent critiqués, du côté français, comme faisant la part trop belle à l’émir. Certains iront jusqu’à écrire, de manière tout à fait excessive, qu’il a été « porté sur le pavois par la longue série de nos fautes ».

En réalité, le gouvernement français, qui ne songe pas à l’époque à une conquête totale, cherche à ménager Abd el-Kader, dont il ne sous-estime pas la force. Non seulement celui-ci est capable d’interdire les communications des places françaises avec l’intérieur, et de les couper de tout ravitaillement, mais il est un adversaire à ne pas négliger sur le champ de bataille. En juin 1835, notamment, il a infligé à la colonne du général Trézel une défaite cuisante à la Macta, à une trentaine de kilomètres à l’ouest de Mostaganem ; à la fin de 1835 et au début de 1836, l’expédition commandée par le gouverneur, le maréchal Clauzel, n’a pu tirer aucun succès de l’occupation temporaire de Mascara et de Tlemcen.

On doit pourtant insister sur les transactions suspectes qui ont accompagné les négociations. La complaisance de Bugeaud est motivée par l’attrait d’avantages qui n’ont rien à voir avec l’Algérie, puisque, en échange des concessions accordées, il espère obtenir d’Abd el-Kader des fonds destinés à favoriser sa réélection de député de la Dordogne. Il faut aussi noter l’ambiguïté qui consiste à juxtaposer, pour chaque traité, une version française et une version arabe dont la teneur n’est pas identique, sans qu’aucune ne fasse autorité. Dans la version arabe du traité de la Tafna, par exemple, Abd el-Kader ne reconnaît pas la souveraineté de la France, à l’inverse de ce qui est inscrit dans la version française ; de plus, cette même version arabe lui attribue un territoire beaucoup plus vaste que ne le fait la version française. Du moins les trêves obtenues ont-elles donné à l’émir le temps de concrétiser son projet.
Un projet politique musulman

Dans leur opposition à la conquête de leur pays, les populations s’appuient sur la vieille idéologie du Jihâd, terme qui désigne ce qui doit être par excellence « l’effort » (sens littéral de Jihâd) du croyant, qui est de se battre pour défendre le territoire musulman (Dar el-Islam). L’ennemi est défini avant tout comme un chrétien. Cette appellation ne concerne pas seulement l’appartenance confessionnelle. Elle stigmatise une culture radicalement étrangère, à laquelle il paraît impossible de se soumettre sans risque pour les croyances, les traditions, les institutions locales. Ainsi, la légitimation religieuse est-elle fondamentale pour tous ceux qui cherchent à unir les habitants de la régence sous un régime capable de leur assurer l’indépendance. C’est donc en se référant au devoir de guerre sainte, qu’Abd el-Kader organise son État sur les ruines de l’organisation turque dans l’ouest et le centre de l’Algérie. Il fait diffuser deux fetwa (consultations) demandées aux Oulema (docteurs) de Fès en 1837, puis en 1840, qui insistent sur le devoir de solidarité des musulmans.

C’est même sur une revivification religieuse qu’Abd el-Kader, profondément croyant, et même mystique, fonde toute sa tentative. Les Algériens ne s’y sont pas trompés. À la fin du XIXe siècle, la période du gouvernement de l’émir, entre 1834 et 1843, était désignée par eux comme la période du « gouvernement des Chorfa » (littéralement descendants du Prophète), qui avait mis fin à ce qu’ils appelaient, comme on l’a vu, « l’époque de l’anarchie ». C’est au titre de la religion que l’émir exige l’obéissance et l’impôt, s’engageant à gouverner « la Loi à la main ». Il rend une justice rapide et expéditive, souvent très rude. Son action est empreinte d’un puritanisme certain. Il proscrit le luxe pour les hommes (leur conseillant de consacrer les excédents de leurs ressources à acheter des armes et des chevaux pour la guerre sainte), interdit le jeu et le vin, et même l’usage du tabac. Il reconnaît que la religion musulmane n’interdit pas totalement ce dernier, mais estime que cette habitude revient trop cher aux pauvres, allant jusqu’à les priver du nécessaire.

Le rigorisme va de pair avec l’adoption, au moins sur le plan des techniques, d’un certain nombre d’innovations modernes, notamment dans le domaine militaire. L’émir a su témoigner en effet de véritables qualités d’organisateur et de chef d’État, créant de toutes pièces une administration, une justice, des finances. On peut rêver de l’impulsion que, à l’instar de Mohammed Ali en Égypte (dont il a pu apprécier l’œuvre au cours d’un pèlerinage à La Mecque en 1826-1829), il aurait pu donner à une Algérie pacifiée. L’isolement de l’Algérie, le peu de temps que lui a laissé la guerre, ne lui permettent pourtant pas de mener une œuvre de réformes comparables à celles des pachas d’Égypte, des sultans ottomans, voire des beys de Tunis. Revêtu du titre de sultan, qui désigne dans le monde arabe le détenteur du pouvoir temporel, il commande personnellement son armée au combat en même temps qu’il dirige l’administration de son État naissant, divisé en huit khalifaliks, placés sous les ordres de khalifas ou lieutenants. Deux d’entre eux, Ben Allal Ould Sidi Embarek, khalifa de Miliana, et Mustapha Ben Thami, khalifa de Mascara, témoigneront de véritables talents militaires.

Après l’effondrement des Turcs, la résistance aux Français a été menée essentiellement par les guerriers des tribus, redoutables combattants, mais rarement capables d’un effort commun et soutenu contre l’envahisseur. Abd el-Kader, tant pour soutenir la guerre dans de meilleures conditions que pour affermir son autorité, cherche à se doter de forces régulières. Ses troupes soldées, encadrées par un corps d’officiers et de sous-officiers, finissent par atteindre l’effectif de 8 000 fantassins, organisés en bataillons, 2 000 cavaliers et 240 artilleurs. Elles reçoivent une instruction moderne, dispensée par des instructeurs venus des armées régulières de Tunisie, de Tripolitaine, ou des déserteurs de l’armée française, « indigènes ou étrangers », dira plus tard l’émir prisonnier, pour éviter sans doute de froisser ses interlocuteurs en insinuant que des Français auraient pu déserter, ce qui semble bien avoir été le cas. Ces soldats sont équipés de matériel européen, acheté en France, en particulier à l’occasion de la trêve survenue entre 1837 et 1839, ou au Maroc, et en ce cas de provenance surtout anglaise. La poudre est fabriquée sur place. L’émir se dote même d’une manufacture de canons et d’une autre de fusils, qui, il est vrai, ne durent pas longtemps. Mais ces troupes très dévouées, efficaces pour imposer son pouvoir aux guerriers des tribus récalcitrantes, ne sont ni assez nombreuses ni assez expérimentées pour affronter les Français, dont les effectifs sont dix fois plus élevés.
La guerre

L’affrontement de 1839 paraît avoir été accepté par les deux parties, comme seul moyen de trancher un conflit insoluble. L’émir se refuse en effet, au nom de sa religion, à accepter la sujétion à un État chrétien, tandis que de son côté, le gouvernement prétend à la souveraineté sur l’ensemble de l’Algérie. Mais c’est Abd el-Kader qui, en novembre 1839, prend l’initiative des hostilités. Le franchissement par un détachement français du défilé des Portes de Fer, près de Bordj Bou Arréridj, dans une zone qu’il estime, non sans raison, lui avoir été attribuée par le traité de la Tafna, lui apparaît comme une provocation. Il juge d’ailleurs qu’une attente plus longue renforcerait le camp français plus que le sien propre. Il dira plus tard au général Daumas : « Il m’eût fallu, non pas trois ou quatre ans, mais cent ans, pour être à la hauteur de l’armée française.»

Il faut ajouter que les circonstances diplomatiques semblent favorables. Abd el-Kader ne peut ignorer la détérioration des relations franco-britanniques dans le Levant : les Anglais combattent les ambitions de Mohammed Ali à l’encontre de l’Empire ottoman, alors que les Français sympathisent avec le pacha d’Égypte. En 1840, une véritable crise oppose Londres et Paris, et menace de déclencher une guerre européenne, qui obligerait sans doute la France à retirer ses troupes d’Afrique. Cet espoir est cependant déçu. L’Entente cordiale établie par le Premier ministre du roi Louis-Philippe, François Guizot, à partir de 1841, permet aux Français d’entretenir en Afrique un corps expéditionnaire nombreux, grâce à la neutralité de la flotte anglaise et à la paix européenne. En février de la même année, Bugeaud remplace Valée au gouvernement général, et donne une nouvelle impulsion à la guerre.

Au départ, la stratégie d’ensemble à laquelle a recours Abd el-Kader consiste à avoir installé l’essentiel de ses ressources sur la ligne la plus reculée du Tell, à Sebdou, Saïda, Tagdempt, Taza, Boghar et Biskra, en bordure des Hautes-Plaines. Il aurait même songé à détruire les villes de la ligne centrale, Médéa, Miliana, Mascara et Tlemcen, pour empêcher les Français de s’y maintenir. Il espère ainsi les obliger à se ravitailler à partir de la côte, au prix d’efforts démesurés. Mais les villes tombent les unes après les autres : Médéa le 17 mai 1840, Miliana le 9 juin, Boghar le 23 mai 1841, Taza et Tagdempt le 25 mai. Par ailleurs, l’émir se voit très vite contraint de renoncer à interdire son territoire aux colonnes ennemies, sa dernière tentative en ce sens ayant consisté à chercher à interdire, le 12 mai 1840, le col de Mouzaïa, point de passage alors obligé entre Blida et Médéa, à la colonne du maréchal Valée. L’échec de cette journée, où toutes les positions occupées et fortifiées par les siens ont été conquises successivement par les Français, le persuade de l’inutilité de tels combats.

Il préfère désormais rechercher l’épuisement de l’adversaire dans une interminable guérilla.

« Nous nous battrons quand nous le jugerons convenable, tu sais que nous ne sommes pas des lâches », écrit-il à Bugeaud en juin 1841. Et il ajoute : « Nous opposer à toutes les forces que tu promènes derrière toi, ce serait folie, mais nous les fatiguerons, nous les harcèlerons, nous les détruirons en détail ; le climat fera le reste. (…) Vois-tu la vague se soulever quand l’oiseau l’effleure de son aile ? C’est l’image de ton passage en Afrique. »

Ces propos ont suscité l’admiration d’un des fidèles de Bugeaud, le futur maréchal de Saint-Arnaud, qui note dans sa correspondance : « Quelle raison, quels sentiments justes et élevés ! ». C’est le moment où Abd el-Kader, renonçant à tout établissement permanent, jugé trop vulnérable, se donne une capitale itinérante. C’est la fameuse smala, qui regroupe plusieurs dizaines de milliers de personnes.

Deux ans se passent alors en combats indécis, en marches et contre-marches éprouvantes pour les combattants. S’ils défont à plusieurs reprises les contingents qui leur sont opposés, ce n’est qu’à partir du printemps de 1843 que les Français peuvent se targuer de grands succès. Une colonne commandée par le duc d’Aumale réussit, presque par hasard, à s’emparer de la smala de l’émir (mai 1843), en l’absence de celui-ci. Ce n’est pas le seul revers que subissent les siens. Le 11 novembre 1843, le khalifa de Miliana, Ben Allal, est tué au combat. Il ne reste plus grand chose des bataillons de fantassins réguliers. Plus gravement encore, le Maroc, où Abd el-Kader a trouvé refuge avec ses partisans les plus dévoués, doit, après la défaite d’Isly et le bombardement de Tanger et de Mogador (août 1844), promettre de ne plus servir de base arrière aux incursions d’Abd el-Kader en territoire algérien.

Ces lourds revers, cependant, n’amènent pas l’homme à renoncer. Ses forces, réduites à un millier de cavaliers, restent suffisantes pour lui permettre de mener de nouveaux raids contre les territoires occupés par les Français. Elle lui permettent aussi de s’imposer aux populations. Il ne serait rien, en effet, sans l’appui des tribus, qui lui fournissent renforts, nourriture, et abri en cas de repli. « On ne sait ce qu’est lui résister, et d’ailleurs, avec ses quinze cents cavaliers, il est plus fort que plusieurs tribus réunies », affirme Bugeaud. Le gouvernement marocain hésite à agir contre un homme qui apparaît comme un défenseur des musulmans. La situation en Algérie, où a éclaté, en 1845, l’insurrection dans laquelle s’illustre le chérif Bou Maza, persuade Abd el-Kader que les positions françaises sont loin d’être assurées. Sa campagne de fin 1845-début 1846, alors que les Français estimaient l’avoir refoulé définitivement au Maroc, va faire, selon un officier français, le capitaine Cler, « l’admiration de tous les militaires qui ont quelque idée de la guerre ».

Cette campagne débute pour l’émir par un succès remporté sur le chef de la garnison de Nemours, le lieutenant-colonel de Montagnac. Celui-ci, qui s’est imprudemment avancé avec sa petite colonne, dans l’espoir de capturer Abd el-Kader, périt avec 300 de ses hommes, les derniers combattants étant tués près du marabout de Sidi-Brahim (25 septembre). Puis, opérant sur une rocade de direction ouest-est, au sud du Tell, des confins marocains au sud de Boghar, il parvient à porter le trouble, par des pointes hardies, dans le dispositif ennemi, allant jusqu’à faire mine à un moment de se diriger sur Alger. Ses marches fulgurantes obligent ses adversaires à mettre en branle, pour tenter d’en venir à bout, un ensemble de dix-huit colonnes. Ce n’est qu’au début de l’été qu’il regagne le Maroc. Encore faut-il se demander si ce repli n’est pas la conséquence de l’arrivée de la saison des moissons, qui amène les populations à se consacrer aux travaux des champs, plutôt que de continuer à combattre les troupes françaises. Elles-mêmes épuisées, celles-ci n’ont jamais réussi à accrocher sérieusement leur adversaire.

Les causes de la défaite finale sont bien connues. Abd el-Kader avait pensé que son opposition farouche pourrait susciter le découragement des Français, épuisés par une guerre toujours recommencée. Il a probablement sous-estimé la détermination du gouvernement de Louis-Philippe à faire une conquête dont l’intérêt pour la France n’apparaissait guère plus à l’époque qu’elle ne le paraît à l’historien d’aujourd’hui. Ce gouvernement, pour mener son ambition à bien, n’a pas hésité à entretenir, pendant sept ans, un corps expéditionnaire nombreux (porté à plus de 100 000 hommes en 1846) et à laisser toute liberté d’action à ses généraux. Ces derniers se soucient peu des pertes. La seule campagne de 1845-1846 a vu la mort de près de 8 000 hommes, la plupart victimes de maladies aggravées par les fatigues. À la longue, les méthodes de guerre employées par Bugeaud, et notamment la pratique systématique des razzias, ont eu raison de la combativité des populations algériennes, privées d’une grande partie de leurs ressources par la destruction de leurs récoltes et l’enlèvement de leurs troupeaux. Le gouvernement du sultan du Maroc, inquiet de l’influence croissante d’Abd el-Kader sur ses sujets de la province orientale, porte le dernier coup en se décidant à anéantir sa petite armée, ce qui détermine sa reddition (23 décembre 1847).
Conclusion

Le maréchal Bugeaud, considéré comme le meilleur soldat français de son temps, n’a pas hésité à parler du « génie » d’Abd el-Kader. Même en faisant la part de l’intérêt qu’il y a pour le vainqueur à faire l’éloge du vaincu (à vaincre sans péril...), on doit reconnaître le prix de cet hommage du vieux soldat de l’Empire à son jeune adversaire (Bugeaud est âgé de 57 ans en 1841, Abd el-Kader de 33 ans seulement). L’émir s’est d’abord révélé un remarquable entraîneur d’hommes, capable de mener quinze ans durant, sans se décourager, en l’absence de tout appui, une guerre de plus en plus désespérée. Il a su prolonger la phase finale de son conflit avec les Français pendant huit ans (1839-1847), alors qu’il avait suffi à ceux-ci de prendre Constantine (13 octobre 1837) pour abattre le pouvoir du bey Ahmed. « Maître utilisateur de l’espace nord-africain », comme l’a écrit Jacques Berque, il s’est montré capable d’imaginer des plans remarquables qui font de lui un véritable stratège et non un simple « chef de partisans » (ce terme de « partisan » se traduirait aujourd’hui par « guérillero »). Il a su également impressionner ses adversaires par ses qualités personnelles, et d’abord par son courage. Excellent cavalier, dans la grande tradition arabe, il n’a pas hésité à payer souvent de sa personne, chargeant personnellement à l’occasion, tous étendards déployés, se signalant ainsi aux coups de l’ennemi, pour soutenir ses soldats défaillants.

Il s’est imposé aussi par son humanité. Fidèle à une lecture généreuse et intelligente du message coranique, il s’est efforcé, dans une guerre marquée par des atrocités réciproques de limiter ou d’interdire chez les siens les cruautés inutiles. Il n’a pas hésité, il est vrai, à laisser décapiter le capitaine Dutrerte, qui, fait prisonnier, refusait d’encourager à se rendre les derniers défenseurs du marabout de Sidi-Brahim. Mais cette violence exercée en plein combat ne paraît guère avoir choqué les chefs français, dont beaucoup ont eu recours à la même pratique. En revanche, il a offert des récompenses à qui lui ramènerait des prisonniers vivants. Ceux qu’il détenait étaient bien traités. En août 1841, 80 d’entre eux furent libérés au cours d’un échange général. D’autres le furent sans contrepartie en 1842, l’émir se jugeant incapable de les nourrir. C’est à tort, enfin, que les Français lui ont imputé le massacre de 300 prisonniers détenus dans son camp (avril 1846), perpétré en son absence par un de ses lieutenants, comme l’a notamment établi l’ancien interprète Bellemare dans tout un chapitre de la biographie d’Abd el-Kader publiée par lui en 1863.

Certes, il est exact qu’Abd el-Kader a été loin, dans son combat, de faire l’unanimité ; il n’a pu s’appuyer sur les tribus de l’Est, ni sur les Kabyles ; il est entré en conflit avec les anciens alliés des Turcs, et avec la confrérie Tijanya d’Aïn Mahdi. Sa reddition, enfin, donne à nombre d’Algériens le sentiment d’un abandon, et ce n’est qu’à partir des années 1920 que sa figure achève de s’imposer à l’ensemble des nationalistes comme celle du père fondateur de la Nation algérienne moderne. Tous ces éléments n’empêchent pas que, grâce à ses qualités personnelles, appuyé sur l’esprit de résistance à la conquête d’une grande partie des tribus, il a su représenter la seule opposition valable aux Français après la chute du bey Ahmed.

Les Français d’ailleurs ne s’y sont pas trompés. S’ils ont jugé nécessaire d’anéantir le pouvoir de l’émir, ils n’ont jamais nié son caractère représentatif. Un ouvrage émanant de la direction des Affaires arabes, organisme central des Bureaux arabes, affirme que « la nationalité arabe n’existait pas quand les Français sont venus renverser le gouvernement des Turcs... », mais reconnaît dans l’œuvre d’Abd el-Kader un projet authentique de « reconstitution » de cette même « nationalité arabe ». Bugeaud, dans une lettre adressée à Guizot en 1846, va encore plus loin. Abd el-Kader est pour lui un prétendant légitime au pouvoir « par tous les services qu’il a rendus à la nationalité arabe et à la religion ». Sa popularité est telle, déclare très nettement le maréchal, que, à travers lui, « c’est à la nation arabe tout entière que nous avons affaire ».

La défaite même ne fait que grandir cet homme qui, après avoir fait sa reddition, reste prisonnier plusieurs années en France, puis est autorisé par Napoléon III à se retirer dans l’Empire ottoman, à Brousse puis à Damas. Il impose à ses anciens adversaires l’image de ce que la culture arabo-musulmane a de plus grand. Pieux sans ostentation, attaché à la méditation mystique et à la poésie, il ne reprendra les armes que pour défendre les chrétiens de Damas lors des massacres de 1860. La pension que le gouvernement français lui verse, ainsi qu’à ses descendants, le titre de grand-croix de la Légion d’honneur décerné pour son action humanitaire à Damas apparaissent comme des symboles de cette estime et comme une forme de réparation. Bien qu’entretenant d’excellents rapports avec le gouvernement impérial, il se refuse à jouer un rôle politique en Orient, en dépit des sollicitations dont il est l’objet. Il se refuse de même à encourager les révoltés de 1871. Après avoir affronté à mainte reprise la mort au combat, il entend user désormais d’un seul sabre : celui de la parole révélatrice, qui tranche, au-delà de l’histoire, selon la divine vérité.
Notes

La documentation sur laquelle repose cet article est tirée de notre ouvrage La France et l’Algérie en guerre, 1830-1870, 1954-1962, Économica, 2002, 365 pages. On y trouvera en note la référence des citations.
Pour citer cet article
Référence électronique

Jacques Frémeaux, « Abd el-Kader, chef de guerre (1832-1847) » Revue historique des armées, 250 | 2008, [En ligne], mis en ligne le 06 juin 2008. URL : [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] Consulté le 29 décembre 2009.
Imad Eddin AL-HAMADANI
Imad Eddin AL-HAMADANI
EUROMED 09|10
EUROMED 09|10

Messages : 265
Date d'inscription : 24/12/2009
Age : 40
Localisation : Casablanca

Revenir en haut Aller en bas

Revenir en haut

- Sujets similaires

 
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum